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Nom : | Tarot de Jean Dodal |
Auteur : | Jean Dodal / Jean Claude Flornoy |
Editeur : | letarot.com Editions |
Tradition : | Tarot de Marseille type I |
Emballage : | Boîte carton souple / 13.6 x 7.7 x 3.8 cm |
Jeu : | 78 cartes / mattes, satinées / 13.2 cm x 7.8 cm |
Taille : | grand |
Manuel : | Livret de 48 pages en N&B |
Endroit/Envers : | Oui, le dos des cartes est réversible |
Inversion 8/11 : | Non |
Univers : | Médiéval / Renaissance |
Utilisation : | Prédiction , Développement personnel |
La boite contenant le jeu est en carton souple. A l'intérieur se trouvent les 78 cartes et le livret. Habitué aux boites solides et aux emballages de qualité des tarots anglo-saxons ou imprimés par des grosses sociétés d'édition, un amateur peut être surpris avec ce jeu de tarot. Il peut le voir comme un produit plutôt bas de gamme. Mais il ne faut pas s'y tromper. D'abord, tous les éditeurs anglais et même les grosses sociétés d'édition française font imprimer leurs produits en chine. Personnellement je ne cautionne pas à cause de l'impact carbone. Ensuite, même si les emballages des jeux anglo-saxons sont beaux, bien souvent la qualité même des cartes laissent à désirer. Bref, on soigne l'emballage mais pas les cartes, c'est le monde à l'envers.
Ici, le jeu est "made in France" avec les éditions letarot.com. L'emballage est certes souple, mais les cartes bénéficient d'un revêtement mat sur un carton épais. Cette qualité d'impression n'est pas la norme chez les tarots du "mass-market" imprimé en chine. En effet, la finesse des cartes est même habituelle chez les gros éditeurs Lo Scarabeo et US Games, par exemple. Même si je l'accorde certains tarologues aiment les cartes fines, avec raison, puisque cela rend le paquet moins épais et plus facile à mélanger, quand le revêtement des cartes est de qualité et que les cartes glissent bien entre les doigts.
Les cartes du jeu sont grandes, mais pas si grandes que cela et même conventionnelles selon le format habituel 12-13cm x 7-8cm des tarots anglais. Cependant remis dans son contexte historique, la taille standard d'un Tarot de Marseille étant 12x6 cm, il est clair que ce jeu a une taille inhabituelle.
Avec 13 centimètres de hauteur, il peut être difficile pour une personne avec de petites mains de brasser le jeu à l'horizontal, dans pareil cas, le brassage des cartes à la verticale s'imposera.
Il faut d'abord préciser que Jean Dodal est le maître-cartier qui a imprimé et vendu ce tarot. Le tarot lui-même a été gravé par Jacques Mermé. Par le passé, il y a eu des maîtres-cartiers qui gravaient eux-mêmes leurs moules.
Le Tarot de Jean Dodal a été gravé en 1701 et vendu à partir de cette même période. Il ne reste que deux exemplaires originaux et complets de ce tarot, l'un conservé à la Bibliothèque Nationale de France (lien vers la gallerie), l'autre au British Museum.
Il est probable que ce tarot est été destiné avant tout à l’exportation vers les pays limitrophes comme la Suisse, l'Allemagne, mais surtout l'Italie. En effet, nous pouvons lire les lettres "F.P.LE.TRANGE." (fait pour l'étranger) sur le Valet de Bâton, XI FORCE, XXI LE MONDE, ainsi que sur chaque Cavalier. De plus, le Deux de Coupes comporte aussi les initiales PLN (qui pourrait être l'acronyme de "Pour Le Négoce") et FPE (acronyme probable pour "fait pour l'étranger"). Selon Thierry Depaulis, cette appellation permettait l’exonération des taxes françaises pour les jeux d’exportation. En effet, de manière surprenante, la popularité en France du tarot était en déclin depuis la fin du XVIIe siècle. On y jouait encore qu'en Provence et dans les zones frontalières avec l'Allemagne et la Suisse. A l'époque, on assimile même le tarot à un jeu de cartes étranger, car les jeux français arboraient déjà les enseignes françaises (Coeur, Carreau, Pique et Trèfle).
Jean-Claude Flornoy (1950 - 2011) était un tarologue, spécialiste du tarot de Marseille, un écrivain et un fabricant de cartes. Après des études de philosophie et de psychologie, il a travaillé pendant 15 ans comme potier-céramiste. Puis il aura consacré une vingtaine d'années à l'étude et la restauration des tarots de la tradition française (dit tarots de Marseille). A partir des tarots originaux conservés à la Bibliothèque nationale de Paris, il a ainsi restauré les tarots de Jean Noblet (Paris, vers 1650), de Jean Dodal (Lyon, 1701) - objet de cette revue - et l'Arcane Majeur de Jacques Viéville (Paris, vers 1650). Il est toujours possible de se procurer ces tarots restaurés sur le site web officiel de la maison d'édition letarot.com.
Son travail est remarquable car il permet de pratiquer la divination avec des jeux historiques ayant un aspect neuf et soigné (imprimé en numérique) bien plus agréable que la version originale (cartes peintes au pochoir). Certes j'aime le charme de l'artisanat des cartes peintes au pochoir avec leurs lots d'imperfection. Mais pour la divination, il est plus confortable de se baser sur des images propres et nettes.
Le livret a un contenu sommaire, il est cependant rédigé en Anglais et Français. Il ne prodigue aucune stratégie de tirage, aucune d'interprétation des cartes. Le texte du livret se résume pour l'essentiel à informer le lecteur du contexte historique dans lequel a été imprimé et vendu le tarot en 1701. Ce récit permet de mesurer la chance que ce tarot ait pu parvenir jusqu'à nous et l'attention que mérite cette oeuvre originale. A comprendre comment ce tarot a été gravé et les symboles qui parcourent ses images, j'ai fait de cette restauration un objet d'étude approfondi.
On peut regretter l'absence de toute pédagogie sur les tirages et les interprétations. Ceux qui viennent de la tradition RWS peuvent être étonné d'un livret aussi réduit et pauvre. Mais dans l'école Marseillaise, la convention est plutôt d'apprendre la divination, par des cours, des stages ou simplement en lisant des livres, car les tarots de Marseille respectent "un standard iconographique" immuable depuis le XVIIIe siècle. Aussi, de part cette forme canonique, les auteurs ne se sentent pas obligés de livrer des significations et des stratégies de tirage avec leurs jeux. A contrario, avec les tarots de la tradition RWS, les auteurs mettent un point d'honneur à donner des significations et des tirages qui leur semble adaptés. En effet leurs créations étant originales et uniques, respectant de près ou de loin le standard original du tarot RWS, elles doivent être expliquées auprès des acheteurs.
La première surprise lorsque l'on découvre pour la première fois un tarot français historique est souvent l'orthographe des noms des cartes. Il faut savoir que l'analphabétisme était très répandu, et même la normalisation de l'orthographe française était encore à ses débuts. L'Académie française, institution chargée de définir la langue française, fut fondée en 1635. On ne compte pas le nombre de faute d'orthographe dans ce tarot : LA PANCES (au lieu de LA PENSEE), IMPERATRIS (au lieu de IMPERATRICE), LA MOUREU (au lieu de L AMOUREUX), LE CHARIOR (au lieu de LE CHARIOT). C'est encore plus croustillant avec les cartes de cour de la série des Epées, puisque nous avons : VALET DEPEES, CHEVALIER DESPEIS, ROY DESPEE, REINE DESPEIES. Nous avons 4 orthographes différentes du mot épées ! Pourquoi ? Certains seraient tentés de penser qu'il y a un code caché. Mon pragmatisme me porte à croire que ce sont 4 apprentis graveurs différents qui ont fabriqués ces 4 moules. En effet, Jacques Mermé, graveur officiel de ce tarot, dirigeait probablement des apprentis. Je ne serais pas étonné qu'il ait délégué une partie de la gravure des moules de l'Arcane Mineur, se réservant la gravure de l'Arcane Majeur.
La numérotation est elle aussi étonnante. En effet, Les 6 et 7 de Deniers et le 7 de Coupes ne sont pas numérotés. Les 6 et 7 de Bâtons et d'Épées ont leur chiffre romain inversé : IV et IIV alors que le 6 de Coupes est correctement numéroté VI. De même l'un des chiffres romains du 9 de Bâtons est également inversé (mais pas le second chiffre sur la même carte). Ces erreurs peuvent créditer l'hypothèse que le tarot a été en partie gravé par des novices, ou que les moules ont été récupérés auprès de graveurs ou maitres-cartiers peu scrupuleux.
Cependant sur l'Arcane majeur, on peut observer des particularités très intéressantes qui rendent ce jeu unique :
Enfin, autre particularité, des initiales I.P. sont gravées sur la carte de XVII LA LUNE, sous la queue du chien à droite. Il s’agirait des initiales de Jean Payen, si on se permet de croire que le moule original proviendrait de son atelier. En effet, grâce à un acte de mariage du 3 avril 1714 conservé aux archives départementales du Vaucluse, nous apprenons qu'un graveur dénommé Claude Mermé né d’une famille de Maître Cartier de CHAMBERY a travaillé pour Jean Payen et Jean Pierre Payen. Ce Claude Mermé est-il de la même famille que Jacques Marmé, graveur du Dodal ? Vraisemblablement si l'on compare les deux tarots de Dodal 1701 et Jean-Pierre Payen 1713, très ressemblant.
Le Dodal pourrait être une variante du Jean Payen, destinée à l’exportation. D'autres vont plus loin, et s'autorisent à dire que Dodal et Payen serait une seule et même personne, expliquant la très forte ressemblance entre les deux tarots. Pour ma part, je reste très prudent. En effet un autre tarot, celui de Nicolas Rolichon (planches issues d'une encyclopédie Larousse de 1919) que les historiens datent de 1685 (probablement vers 1670 - 1690), comporte de très fortes similitudes avec ceux de Dodal et de Payen. Noter d'ailleurs que bon nombre de nouveautés apportées par le Dodal, sont déjà présentes dans le Rolichon qui est pourtant plus ancien. Selon moi, Jean Dodal et Jean Pierre Payen sont bel et bien deux personnes différentes, et le tarot de Dodal n'est pas une variante de Payen destinée à l'exportation. Je pense que les tarots Rolichon puis Dodal puis Payen dénotent d'une tradition et d'une technique qui se sont transmises de maître à apprenti. Car nous savons qu'il y a eu plusieurs courants de tarots français au XVIIe siècle, avant que le standard du Tarot de Marseille ne supplante (ou unifie) toutes ces traditions pendant le XVIIIe siècle.
Des mots-clés pour les 78 cartes pour le Tarot de Marseille, à glisser dans votre deck favori. Votre dépliant toujours avec vous, à portée de main, pour vos guider dans vos tirages. Grâce à lui, vos interprétations gagnent en richesse et en finesse.
Sur les tarots précédents que cela soit le tarot anonyme de Paris (1615) ou les tarots Vieiville ou Noblet (1650 tous les deux) le bateleur n'avait rien entre ses deux pieds, ou seulement quelques feuilles d'une plante. Ici avec le Dodal, nous avons de toute évidence un végétal particulier, un tronc avec des petites branches, une sorte de cactus. Si on a la curiosité de se demander ce que pourrait représenter ce végétal, on arrive vite à l'idée que cette plante pourrait être un sexe féminin, les courbes du sol soulignant les deux jambes écartées et supposées de la femme ; qui en l'occurrence aurait mis au monde le bateleur. Car le bateleur est un jeune homme au début de son chemin, frais de son inexpérience, qui vient d'apparaître au monde. Naturellement, ce n'est qu'une supposition, mais elle est retenue par bon nombre de tarologues.
Le Dodal est le seul tarot à ma connaissance dont la Papesse possède un grain de beauté sur la joue. Ce détail est révélateur de la liberté de ton du graveur. En effet, ce grain de beauté fait de la Papesse, une femme de cour, une aristocrate. Il y avait une mode curieuse chez les femmes nobles de l'époque qui était d'utiliser des "mouches" esthétiques. Il s'agissait généralement d'un petit rond de taffetas ou en velours noir, ou plus simplement d'un point de crayon de maquillage, imitant le grain de beauté. Les femmes mettaient ses mouches sur le visage ou sur le décolleté, à des endroits qui variaient selon le caractère ou les humeurs. Ce grain de beauté en plein milieu de la joue de la Papesse, aurait pu signifier pour le graveur que la religieuse était galante, seule et ouverte aux rencontres.
Une autre spécificité de Dodal est le collier de l'empereur qui a la forme de la tête d'une oie. Sur le plan symbolique, l'oie renvoie à l'annonce du danger. Cet animal, véritable chien de garde, évoque l'attention, la vigilance. Les cultures du monde entier ont donné des attributs bien différents à l'animal. Mais je ne pense pas que l'optique du graveur ait été de rappeler la symbolique de l'animal. Je crois plutôt que le créateur a voulu faire un parallèle avec le jeu de l'oie dont les plus anciennes mentions remontent au début du XVIIe siècle. Inventé probablement vers la fin du XVIe siècle, ce jeu connaît un engouement rapide dans toute l'Europe. Ce succès pourrait venir de son concept, une sorte de labyrinthe initiatique, un parcours ésotérique comparable à la vie humaine avec ses aléas, ses réussites et ses échecs. L'Arcane Majeur du tarot fait aussi le récit initiatique de la vie humaine. Je pense que le graveur a voulu signifier que le chemin de la Vie, peut être un labyrinthe (la spirale du jeu de l'oie) avec ses bonnes et mauvaises fortunes (les pions peuvent avancer et reculer sur le plateau du jeu de l'oie). Avoir fait de ce collier de l'oie, un attribut de l'empereur est sans doute un message d'espoir donné aux joueurs. L'empereur par sa rigueur, sa connaissance, sa maîtrise est capable d'amener la réussite et la prospérité dans sa vie et me mener brillamment son chemin à travers le *dédale* de sa vie.
Dans le standard Marseillais, l'ange apparaissant dans le ciel de L'AMOUREUX est habituellement voyant. Mais dans les premiers tarots français l'ange apparaît les yeux bandés, le tarot de Dodal est un des derniers jeux à le montrer ainsi. Cet ange est une représentation de Cupidon, fils de Vénus et de Mars. Il est le dieu de l'Amour, assimilé au dieu Eros (son équivalent grec). Cupidon est armé d’un arc, d'un carquois rempli de flèches. Parfois il est aveugle ou il a les yeux bandés, ce sont des représentations classiques de l'ange. Car ne dit-on pas que l'Amour rend aveugle ou que l'Amour ne voit aucun défaut en ce qui est aimé ? C'est d'autant plus vrai qu'au moyen age, Cupidon pouvait être perçu comme un dieu trompeur, inconstant, manipulant les amoureux. C'est probablement dans ce sens que dans les premières représentations du tarot de Marseille, Cupidon a les yeux bandés. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle, que l'on donna un sens moins négatif à la carte de L'AMOUREUX en aseptisant la figure de Cupidon par la suppression de son bandeau sur les yeux.
Personnellement j'aime l'évocation du dieu de l'Amour avec son bandeau sur les yeux. Ce signe est pour moi un message d'avertissement pour le lecteur, que le coeur a ses raisons que la raison ignore, certes, mais que le coeur peut être aveugle aussi. Fort de ce rappel, le lecteur doit décider de sa voie en toute conscience.
La JUSTICE qui triche en appuyant sur un de bras de la balance afin de la faire pencher est riche d'enseignements. On peut naturellement attendre que la Justice soit impartiale, équilibrée, juste et équitable. Mais nous savons tous que la Vie est injuste, que le hasard (ou autrement dit le destin) favorise les uns au détriment des autres. Que chaque individu parle et agit selon ses intérêts personnels. La JUSTICE des premiers tarots de Marseille nous dit presque que la Justice n'existe pas car non équitable ! Cependant comme pour L'AMOUREUX, au début XVIIIe siècle la carte sera rendu moins subversive, et depuis les plateaux de la balance sont parfaitement à l'équilibre dans la forme canonique. Seule l'épée est restée très légèrement penchée.
Comme pour L'AMOUREUX, j'aime la version des premiers tarots. La JUSTICE par sa simple présence dans les 22 atouts de l'Arcane Majeur nous rappelle qu'elle est une vertu nécessaire à apprendre et à appliquer sur le chemin initiatique ; et qui plus est que nous récoltons toujours ce que nous semons. Mais parce que sa balance est déséquilibrée, elle nous ramène à la réalité de nos existences : la justice des hommes est imparfaite.
Là encore dans les premiers tarots, LE PENDU était doté d'attributs qui ont disparu avec la standardisation. Avant le tarot de Madenié 1709, le PENDU tirait la langue et avait des curieuses mains. Avec Madenié et depuis, LE PENDU garde sa langue dans sa bouche et ses mains sont invisibles dans son dos.
J'aime la version où LE PENDU tire la langue. Cette désinvolture montre parfaitement qu'il assume sa situation, qu'il est même volontaire, en aucune manière il ne subit ce qu'il lui arrive. De même, ses mains étranges sur ses épaules pourraient être des ailes, conférant une légèreté au personnage qui semble flotter dans les airs. Que les maîtres-cartiers aient gratifié LE PENDU d'ailes, lui conférant ainsi une nature céleste voir divine, montre bien l'importance de cette carte et de son message. La coercition, la pression, les limites que nous nous imposons ou que le monde nous impose, sont autant d'opportunités de regarder autrement notre situation, d'observer les liens qui nous contraignent, leur nature et leur cause.
Dans la version standard, l'éclair ou le jet de flammes descend du soleil et vient frapper le sommet de la tour. Dans le tarot de Dodal et ceux de ses prédécesseurs, le jet de flammes s'élève du sommet vers le ciel pour atteindre le soleil.
Là encore, je préfère l'ancienne version, avec l'éclair qui monte. LA MAISON DIEU est la carte de l'illumination, de la prise de conscience. La tour représente l'individu. Les créneaux au sommet, foncièrement dessinés comme une couronne royale, représente son ego. Cette carte nous parle donc d'un individu dont l'ego (sa vision, son ambition, ses préjugés, ses croyances) bascule soudainement et tombe plus bas que terre. Un événement bref, remarquable survient dans la vie de l'individu le déstabilisant sur ses fondements les plus ancrés, le frappe aussi fort et puissamment que la foudre atteint le sol. Là est la signification de la carte. Le fait que le jet de flammes s'élève de la tour et au contraire ne frappe pas la tour, indique que le Ciel est neutre, ce qui provoque la rupture n'est pas l'éclair lui même. C'est la perception de l'individu, la compréhension qu'il a de l'événement, qui l'oblige à abandonner son ego. Délaissant ses croyances profondes, l'individu s'ouvre alors à une vision soudaine et une lucidité inattendue sur sa situation et son environnement. C'est donc cette lumière qui jaillit enfin de son esprit qu'évoque ce jet ascendant. Et que ce n'est certainement pas une fatalité, une destinée, une manifestation divine (jet descendant) qui frappe l'individu. C'est son ressenti et sa réaction face à l'événement qui amène la crise et la remise en cause.
L'ETOILE a deux attributs inédits dans la version de Dodal. D'abord la femme a un nombril très curieux, une sorte d'oeil. Le nombril symbolise notre naissance, notre passé. Il est la cicatrice du cordon ombilical par lequel notre mère nous nourrissait alors que nous n'étions qu'un embryon dans son ventre. L'oeil est le signe de la vigilance, du savoir et de la connaissance voir de l'omniscience, il peut être aussi un gage de bienveillance et de protection comme l'oeil oudjat de l'Egypte antique. Avec ce symbole particulier, Dodal parle d'une femme en train de perdre ses eaux (remarquez comme la cruche déversant l'eau est placée à l'endroit de son sexe) et donc de mettre au monde, qui porte un regard compréhensif et bienveillant sur le passé ou sur ce qui est en train de naitre. La carte de L'ETOILE est la porte d'entrée du dernier carré (L'ETOILE, LA LUNE, LE SOLEIL, LE JUGEMENT) menant à la réalisation (LE MONDE). En cela, le femme bénit et pardonne tout ce qui a été fait auparavant et dissout tout ce passé dans les eaux pour se préparer à la naissance prochaine (LE JUGEMENT). Là est me semble-t-il ce qu'il faut comprendre de cet nombril-oeil.
Enfin, avec Dodal, apparaît pour la première fois l'oiseau noir sur le buisson (qui n'est pas présent dans le tarot de Noblet). Par la suite, cet oiseau noir sera intégré à la forme canonique. L'oiseau est signe de liberté car il vole, et de sagesse car il prend de la hauteur et s'approche du ciel. Il est noir, il peut donc être un corbeau. De nos jours, le corbeau peut évoquer le mystère, la mort, le malheur. Mais c'est aussi un animal symbolisant la magie, il est un guide spirituel voir un messager des dieux. Il est vrai que cet oiseau véhicule de multiples significations suivant les traditions et les cultures. Ici, dans la signification de cette carte, et pour éviter de nous perdre en interprétations, nous pouvons nous contenter de dire à propos du buisson et de l'oiseau :
L'enfant borgne est une spécificité du tarot de Dodal. La carte du SOLEIL parle de charisme, de rayonnement, d'individu extraverti qui s'exprime avec joie et légèreté, captivant son audience par sa présence et ses paroles passionnées. Il y a donc une forme de transmission que semble évoquer les deux enfants par leurs gestuelles. En effet, l'un pose sa main sur l'épaule de l'autre en signe de bienveillance et de protection, en retour l'autre touche le plexus solaire ou le coeur de son partenaire, en signe d'amour, de don de soi. Le fait qu'un enfant soit borgne peut vouloir dire qu'il n'est pas aussi lucide que l'autre, qu'il n'a pas totalement ouvert les yeux, qu'il doit encore développer sa maturité, sa connaissance du monde. Et c'est peut-être ce que lui transmet l'autre enfant (qui a les deux yeux ouverts) en le touchant au torse. Il lui transmet l'amour, la joie, la passion qui lui manque. Il y a peut être là, tout simplement le symbole de la relation du maître à l'apprenti. Relation que vivait chaque aspirant rentrant dans une fraternité de "compagnons".
Le tarot de Dodal est par bien des égards un cas unique dans l'histoire du tarot de Marseille. Il est le digne représentant d'une tradition commençant par le maître-cartier Nicolas Rolichon et se terminant par le maître-cartier Jean Pierre Payen (de ce que nous en savons). Dodal et son graveur Jacques Mermé ont apporté leurs innovations qui ont été soit intégrées soit rejetées dans le standard marseillais.
J'aime particulièrement ce tarot (et celui de Noblet dont je fais la review ici) et je préfère lire avec celui-ci et le Noblet plutôt qu'avec un tarot moderne comme le Camoin-Jodorowsky (ma review ici) ou le Fournier (ma review ici). J'utilise ce jeu car ses images ont un style graphique ressemblant aux vitraux médiévaux et font de lui un "tarot cathédrale", où siège une sagesse et une certaine compréhension du cheminement de l'âme.
Le lecteur habitué aux tarots de Marseille trouvera dans ce jeu, un renouvellement des archétypes, un questionnement plus profond des significations de L'Arcane Majeur. Ce jeu est une référence incontournable pour l'étude du tarot de Marseille.
Le pratiquant débutant (dans la tradition marseillaise) devra sans doute se faire à l'imagerie très médiévale du jeu, surtout s'il vient de l'école Rider-Waite-Smith. Mais il aura tout à gagner à s'attarder sur le Dodal plutôt que préférer des jeux marseillais plus récents, aux couleurs et traits plus modernes. L'effort sera récompensé par une compréhension plus factuelle et moins ésotérique du message initiatique du tarot.
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