Depuis la nuit des temps, les êtres humains se posent les mêmes questions universelles : que se passe-t-il après la mort ? Existe-t-il une justice divine qui répare les injustices de ce monde ? Les méchants seront-ils punis, et les bons récompensés ? Cette inquiétude profonde traverse toutes les cultures et toutes les époques.
La tradition chrétienne apporte sa propre réponse à ces interrogations à travers le concept du Jugement dernier. Selon cette doctrine, à la fin des temps, tous les morts ressusciteront pour comparaître devant le Christ. C'est le moment où chaque âme sera définitivement jugée selon ses actes terrestres, et où se décidera son sort éternel : le paradis ou l'enfer.
Pour bien comprendre ce concept, il faut distinguer deux moments distincts dans la théologie chrétienne. D'abord, quand une personne meurt, elle subit un jugement particulier immédiat. Les saints et les martyrs accèdent directement au paradis, tandis que les pécheurs impénitents sont condamnés à l'enfer. La plupart des âmes, cependant, passent un temps au purgatoire pour expier leurs fautes.
Mais ce n'est là qu'une première étape. Le Jugement dernier représente l'événement final de l'histoire humaine : tous les corps ressuscitent, toutes les âmes comparaissent ensemble devant le Christ, et le verdict devient définitif pour l'éternité. C'est cette scène grandiose et dramatique que représente la carte du tarot.
Cette conception du Jugement dernier a profondément marqué l'imaginaire occidental medieval. Elle répond à un besoin fondamental de justice : l'idée que les souffrances et les injustices de cette vie trouveront enfin leur résolution. Pour les populations de l'époque, souvent confrontées à la violence, à la pauvreté et à l'arbitraire des puissants, cette promesse d'un jugement équitable représente un immense réconfort.
Les artistes s'emparent rapidement de ce thème, car il offre des possibilités visuelles extraordinaires : la résurrection des morts, les anges sonnant de la trompette, la séparation des élus et des damnés. Au fil des siècles, ces représentations mélangent habilement la doctrine officielle de l'Église avec les croyances populaires. Par exemple, l'archange Michel pesant les âmes dans une balance n'apparaît nulle part dans la Bible : cette image naît vers 1100 dans l'art religieux avant de devenir une tradition incontournable.
C'est précisément cette scène dramatique et chargée d'émotion que les premiers créateurs de tarot choisiront de représenter dans leurs jeux. Mais comme nous allons le découvrir, leur vision du Jugement va évoluer et se transformer au gré des époques, des régions et des sensibilités artistiques, tout en conservant cette dimension universelle qui continue de nous interpeller aujourd'hui.
Les mots inscrits en lettres dorées en haut de la carte Cary-Yale (Visconti di Modrone) ne laissent aucun doute sur le sujet traité. Au-dessus des anges, la carte proclame Surgite ad Judicium : "Levez-vous pour le Jugement". Des anges avec des trompettes occupent la moitié supérieure de la carte. En dessous, trois humains nus sortent de tombeaux en pierre rose.
Traditionnellement, les personnes nues représentent les âmes ressuscitées, tandis que les personnes vêtues représentent les anges (s'ils ont des ailes) ou les saints (s'ils n'en ont pas). L'homme portant une robe pourrait être Jésus, car il est la figure centrale dans tous les tableaux du Jugement dernier. Étant donné que la bannière affiche des symboles héraldiques des familles Visconti et Sforza, il est possible que ce jeu ait été commandé par le duc de Milan pour le mariage de sa fille, Bianca Visconti, au futur duc de Milan, Francesco Sforza.
La carte du jeu Visconti-Sforza est unique en montrant Dieu au centre supérieur, flanqué de deux anges avec trompettes et bannières. Le drapeau près du bas de la trompette appartenant à l'ange de droite affiche une croix, symbole traditionnel de la résurrection du Christ. Dieu tient une épée et un orbe pour montrer sa souveraineté sur l'univers. Trois figures - un jeune homme, une jeune femme et un personnage âgé barbu - partagent un même tombeau. Cette caractéristique inhabituelle se retrouve dans quelques autres jeux.
Ces jeux imprimés au bloc ont été simplifiés pour ne contenir qu'un seul ange. La carte Rosenwald, avec son style minimaliste, ne montre que deux figures sortant de leurs tombes. La carte de Budapest présente quatre figures très simplifiées émergeant de leurs sépultures, peut-être enveloppées dans des linceuls.
Dans cette carte, issue du jeu connu sous le nom de Triomphe Charles VI, sept âmes très animées émergent de leurs tombeaux. Quatre figures à l'arrière-plan expriment leur joie, mais trois figures au premier plan ont les bras croisés comme si elles avaient peur de ce qui les attend.
Les références au jugement dernier dans la Bible mentionnent des anges au pluriel, sans spécifier le nombre ou les noms. La plupart des jeux peints à la main du XVe siècle représentent deux anges, établissant une tradition qui perdurera dans les représentations ultérieures.
L'appel au Jugement dernier aurait été une expérience terrifiante pour les chrétiens médiévaux qui avaient une conscience aiguë de leur condition pécheresse. Ils savaient très bien qu'il n'y avait aucune garantie d'un résultat positif lors de la rencontre avec l'archange Michel. Certaines cartes de tarot montrent cette peur.
Ces cartes françaises du milieu du XVIIe siècle, du Tarot anonyme de Paris, peuvent être la continuation d'une tradition italienne plus ancienne. En observant attentivement ces figures, je remarque une ambiguïté fascinante dans leurs gestes : ce bras levé représente-t-il un geste pour se protéger du cataclysme venu du ciel ? Mon analyse personnelle penche davantage vers un sentiment de peur face à la volonté divine, provoquant un geste d'alerte ou de protection.
Cette interprétation révèle une dimension psychologique profonde : face à l'immensité du jugement divin, l'être humain oscillerait naturellement entre l'espoir du salut et la terreur de la condamnation. Les artistes de cette époque ont su saisir cette tension émotionnelle fondamentale dans leurs représentations.
Les cartes présentées ci-dessus s'étalent sur plus de 200 ans d'évolution artistique. Pourtant, dès les premières versions de la carte avec Noblet (1650) ou Vachier (1639), les éléments graphiques de l'image vont rester figés jusqu'à aujourd'hui. La forme canonique de cette carte est donc fixée dès le départ, établissant un modèle qui traversera les siècles.
Dans le Tarot de Marseille, l'ange occupe plus de la moitié de la carte. Plutôt que plusieurs figures animées regardant l'ange avec peur ou émerveillement, le Tarot de Marseille montre trois personnages dans des poses statiques, dont un seul regarde vers l'ange. La figure centrale, dos tourné vers nous, est bleue ou grise, de la même couleur que le nuage de l'ange. Sa tonsure indique qu'il s'agit d'un membre du clergé. Cette figure centrale est la seule à émerger vraiment d'une tombe. Les deux personnes de couleur chair qui l'encadrent semblent plutôt prier pour un bon dénouement du processus de jugement.
Cette scène ressemble aux images de la résurrection du Christ où il est montré sortant de son tombeau. Dans la carte du Tarot de Marseille, la femme regarde l'homme à la tonsure, tandis que l'homme de droite incline la tête pour regarder l'ange. Il semble se passer ici bien plus qu'une simple réponse à l'appel de l'ange. Il a été suggéré que la direction de leurs regards nous indique que la femme se tourne vers l'Église pour obtenir une guidance spirituelle, tandis que l'homme va directement à la source, le messager céleste. Le membre du clergé nu pourrait être une façon de dire que même l'Église est soumise au jugement, tout comme les personnes ordinaires. Représenter la figure centrale dans la même couleur que le nuage pourrait souligner sa nature spirituelle.
La bannière que tient l'ange mérite une attention particulière. Cette croix rouge sur fond blanc est l'enseigne portée au combat par les croisés, et elle apparaît également dans les représentations du Christ ressuscité sortant de son tombeau pour symboliser sa victoire sur la mort. Pour ceux.celles qui n'auraient pas lu l'article sur la carte du Soleil, ce détail symbolique renforce la dimension de triomphe spirituel présente dans cette carte.
Toujours et encore lui ! Même sur cette carte, Jean Noblet continue d'apporter un regard différent. Cette analyse personnelle demande un œil attentif aux détails symboliques, car Noblet encode ses messages de manière très subtile.
Premier point : les figures sont collées les unes aux autres
Il est évident que Jean Noblet a fait en sorte de coller les trois figures les unes aux autres : elles se touchent, en fait elles ne forment qu'un. Il y a une intention nette du graveur de montrer que les trois aspects - masculin, féminin, et ici enfant (non pas forcément le Christ) - ne forment qu'un. L'âme ou l'esprit (selon comment on le prend) est ici unifiée. Les trois pôles archétypaux de la psyché (masculin, féminin, enfant) dialoguent, travaillent, cohabitent : ils forment une vraie famille unie.
Chez les autres cartiers, ce point de détail est beaucoup moins révélateur. On sent qu'ils n'avaient pas été sensibles à cet aspect de la représentation. Au pire, chez certains graveurs, les figures ne se touchent pas ; au mieux, chez d'autres, elles se touchent du bout des coudes.
Deuxième point : la femme ne regarde pas le Christ
La femme ne regarde pas le Christ (ou son enfant, selon comme on le voit) mais semble bien regarder le ciel et l'ange. On n'est pas dans cette contradiction ou cette interprétation que j'ai soulevée plus haut. Noblet a raison : cela rend la carte moins ambiguë, et on reste concentré sur l'essentiel. Non pas de savoir de qui on doit prendre la vérité ou l'enseignement, ou autrement dit "où est la vérité ?", mais quel est l'enseignement lui-même.
Troisième point : l'ange louche
Alors ça, c'est grandiose ! On peut parler du caractère subversif de ce tarot avec le doigt d'honneur du Bateleur, mais je crois qu'ici c'est le summum ! Et pourtant, finalement, ce détail passe beaucoup plus inaperçu que le doigt d'honneur. Cet aspect du regard de l'ange est à renvoyer au lion de la carte du Monde qui louche aussi (dont on reparlera dans l'article consacré à cette autre carte).
Il ne faut pas voir ce détail comme montrant l'ange avec un problème de vue. Ce n'est pas à percevoir comme un défaut. Il faut naturellement remettre dans le contexte et tenter de se mettre dans la tête de Jean Noblet pour comprendre ce qu'il a voulu dire.
Il faut considérer qu'il y a quatre anges : deux terrestres (Tempérance et Diable) et deux célestes (Amoureux et Jugement). L'ange de l'Amoureux, qui est Cupidon, a les yeux bandés, tandis que l'ange du Jugement (celui dont je parle) a les yeux qui louchent. Vous comprenez mieux ? Ici, Noblet montre clairement une évolution : d'abord un ange (Amoureux) qui ne voit pas la vérité, et ici un ange qui voit très bien, et qui est si focalisé sur la vérité que celle-ci est tellement près, il l'a tellement sous les yeux, qu'il en louche.
Il faut décoder, n'est-ce pas ? Ici, on a le parfait exemple de comment les maîtres cartiers montraient les choses au XVIIe et XVIIIe siècle. Il faut faire très attention à ne pas mal interpréter ou à sur-interpréter ces subtilités symboliques.
Au tournant du XXe siècle, une transformation radicale s'opère dans l'interprétation de la carte du Jugement. Cette évolution marque le passage d'une vision exclusivement religieuse vers une approche psychologique et ésotérique.
Les occultistes français comme Éliphas Lévi et Papus avaient déjà commencé à réviser l'image du Tarot de Marseille pour montrer un homme, une femme et un enfant sortant de leurs tombes, représentant ainsi l'ensemble de l'expérience humaine. Cette approche s'éloignait de la tradition purement chrétienne pour embrasser une vision plus universelle de la résurrection spirituelle.
Oswald Wirth, figure majeure de cette école française, a représenté ce trio sur sa carte et nous a donné l'interprétation occulte la plus complète de cette carte. Selon Wirth, la mère et le père font face à leur fils, qui devient le protagoniste de toute l'histoire des arcanes majeurs. Cette figure centrale n'est pas seulement présente dans le Jugement : elle est aussi le Bateleur, le Chariot, le Pendu et de nombreuses autres figures du tarot.
Cette interprétation française apporte une dimension narrative cohérente au tarot : les arcanes racontent l'histoire d'une âme en évolution, et le Jugement représente l'un des moments clés de cette transformation spirituelle.
Quand le tarot ésotérique atteint la Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle via l'Ordre Hermétique de l'Aube Dorée (Hermetic Order of the Golden Dawn), une nouvelle révolution conceptuelle se produit. Cette société secrète, qui comptait parmi ses membres des personnalités comme William Butler Yeats et Aleister Crowley, réinterprète complètement la carte comme un processus interne.
Pour les membres de l'Aube Dorée, le Jugement n'est plus un événement externe imposé par une divinité, mais une expérience mystique personnelle. À ce stade de la vie spirituelle, le grand œuvre de transformation a été accompli. L'individu a traversé toutes les épreuves symbolisées par les autres arcanes et atteint un niveau de conscience supérieur.
L'appel à une nouvelle vie ne vient plus d'un ange extérieur, mais de l'intérieur de soi-même, et reçoit une réponse de la psyché transformée. Les figures dans cette carte deviennent des représentations de pur esprit s'élevant de manière extatique vers une nouvelle existence spirituelle.
Cette transformation de l'interprétation aura des conséquences durables. Le tarot Rider-Waite-Smith établit un nouveau paradigme : le Jugement devient une carte de renaissance personnelle, de réveil spirituel et de transformation psychologique. Cette vision influence encore aujourd'hui la majorité des interprétations contemporaines.
Je dois avouer que c'est la première fois dans la série des arcanes majeurs, et donc dans tout le parcours du voyage du fou, que je me retrouve avec des cartes en version moderne qui ne me convainquent pas totalement. Je pense que cela tient au symbolisme de la carte qui renvoie de manière flagrante au jugement dernier, lequel possède un symbolisme religieux très puissant. Chez les créateur.rice.s moderne.s, cette symbolique relève d'une appropriation tournée dans la majeure partie des cas vers la renaissance, la délivrance, la libération... domaines d'interprétation que je n'associe pas au premier bord à la carte du Jugement.
Cette tension révèle un enjeu fondamental des tarots contemporains : comment traduire des symboles chrétiens médiévaux pour un public moderne souvent sécularisé ? Les créateur.rice.s d'aujourd'hui font des choix radicaux qui méritent d'être analysés.
La carte du Light Seer Tarot montre une jeune femme baignée dans un rayon de lumière. Son visage est tourné vers ce qu'on pourrait imaginer être le soleil, ses traits semblent apaisés, elle a les yeux fermés, et elle prend une posture étrange avec ses bras tournés vers le ciel. Au-dessus d'elle se trouve une forme éthérée, comme un fantôme, la représentant elle-même volant les bras ouverts vers le haut, comme si elle s'élevait. La symbolique de libération et d'élévation spirituelle est ici parfaitement assumée et représentée.
Comparée aux traditions antérieures, cette approche marque une rupture complète. Là où le Tarot de Marseille montrait trois personnages dans un contexte collectif répondant à l'appel divin, et où le Rider-Waite-Smith préservait encore la dimension communautaire avec ses trois figures familiales, le Light Seer individualise totalement l'expérience. Le jugement devient une expérience mystique solitaire, une élévation personnelle qui n'a plus besoin de référence religieuse externe.
Cette vision correspond parfaitement aux spiritualités contemporaines centrées sur le développement personnel et la transformation individuelle. Cependant, elle perd la dimension dramatique et collective du jugement originel : plus de trompette, plus d'ange messager, plus de communauté des ressuscité.e.s.
The Light Visions Tarot montre une porte dans l'obscurité du ciel nocturne étoilé, ouverte vers la lumière qui rentre à l'intérieur. Des traces de pas partent de l'obscurité, traversent le seuil de la porte et s'éloignent dans la lumière. Ces traces semblent s'estomper ou s'envoler. Si le symbolisme du chemin vers la lumière semble relativement clair, ces traces de pas qui semblent voler apportent une réelle ambiguïté à l'image, instillant l'idée qu'un homme, une femme ou un être invisible sort vers la lumière, mais il pourrait aussi tout aussi bien rentrer. Cela pourrait nous faire penser à un objectif d'effacement face à la lumière.
Cette carte présente une approche encore plus abstraite que les traditions antérieures. Elle élimine complètement la figure humaine pour ne garder que le processus de transition. C'est une vision très contemporaine qui rejoint les philosophies orientales sur la dissolution de l'ego et l'union avec l'absolu.
Le Wake Me Up Tarot nous montre une personne androgyne - on ne sait pas si c'est un homme ou une femme - qui montre ses poignets et ses mains. Autour de ses membres, il y a une corde qui est en train de s'enflammer, montrant ainsi la libération imminente de la personne. Elle a de grands yeux ouverts, ils sont même surdimensionnés, symbolisant certainement une forme de révélation, illumination, vision. En arrière-plan de la silhouette, on voit des chiffres, des photos instantanées Polaroid, un combiné téléphonique.
Sans doute que les photos nous ramènent à l'apparence de soi-même ou aux apparences des autres, dont on doit se méfier, mais qui avec le jugement, on pourra dire que les masques tombent. La raison de la présence des chiffres est un peu plus ambiguë. Les chiffres 2, 6, 8 (ça pourrait être aussi le symbole de l'infini), 11... Je ne sais pas trop comment interpréter ces chiffres. On voit aussi une plume blanche, synonyme d'envol, d'élévation.
Cette version moderne introduit une dimension très contemporaine : la libération des conditionnements sociaux. Les objets du quotidien (téléphone, photos) représentent les illusions et les attachements matériels dont il faut se défaire. C'est une lecture très actuelle qui résonne avec les préoccupations sur les réseaux sociaux, l'image de soi et l'authenticité.
Comparée au Rider-Waite-Smith où la famille symbolisait la réconciliation et l'unité, cette carte moderne présente un individu seul face à ses propres chaînes. La libération n'est plus collective mais intimement personnelle.
Des mots-clés pour les 78 cartes pour le Tarot de Marseille et le Rider-Waite-Smith, à glisser dans votre deck favori. Vos dépliants toujours avec vous, à portée de main, pour vos guider dans vos tirages. Grâce à eux, vos interprétations gagnent en richesse et en finesse.
L'interprétation classique du Jugement apporte des éclairages précieux sur la dimension spirituelle et transformatrice de cette carte. Cependant, après des années d'étude et de pratique, j'ai développé une perspective complémentaire qui me semble révéler une dimension encore plus profonde de cette carte fascinante.
Oui, je sais, la carte s'appelle Jugement et renvoie au jugement dernier, mais je pense vraiment que les maîtres cartiers français ont voulu dire des choses différentes des cartiers italiens. Cette évolution de sens mérite d'être explorée car elle ouvre des perspectives interprétatives particulièrement riches.
D'abord, je dirais que c'est la carte où on apprend à ne pas juger justement ! C'est-à-dire apprendre à accueillir la lumière ou la vérité telle qu'elle est, même si elle peut être aveuglante, déstabilisante, et éclairer soudainement des aspects obscurs de notre être. Il faut accepter ce que le monde nous offre et nous apporte. C'est un des enseignements importants de la carte : le véritable lâcher-prise.
Cette perspective transforme complètement notre rapport à la carte. Au lieu d'être dans l'attente anxieuse d'un verdict extérieur, comme le suggérait la peur médiévale du jugement divin, nous sommes invité.e.s à développer une attitude d'accueil inconditionnel. Cette approche résonne profondément avec les spiritualités contemporaines qui mettent l'accent sur l'acceptation et la non-résistance.
Observons attentivement la carte du Tarot de Marseille : l'ange sonne la trompette, mais les figures masculine et féminine prient toutes les deux. Déjà, on nous annonce quelque chose, on prie pour que quelque chose vienne (le jugement dernier) ou pour son propre salut. Mais le salut n'est pas en tant que tel une délivrance ou une libération au sens moderne du terme : c'est davantage une évolution vers une existence heureuse et éternelle. Même si, oui, c'est vrai, de manière secondaire, cela libère des contraintes et des peines terrestres.
Souvent, on parle de délivrance et de libération à travers cette carte. Ces concepts, bien qu'ayant leur pertinence, restent selon moi des aspects en marge de la véritable essence de la carte du Jugement. Dans vos interprétations, ne vous dirigez pas spontanément vers ces pistes de réflexion qui, bien que séduisantes, peuvent masquer des dimensions plus subtiles.
On parle souvent de renaissance avec le Jugement, mais il ne faut pas confondre avec la Mort. Typiquement, un symbole comme le phénix devrait être associé avec la carte de la Mort. Le vrai terme pour le Jugement serait plutôt "naissance renouvelée" ou une "deuxième naissance", ou encore mieux : "naissance spirituelle".
Cette distinction est cruciale car elle évite la confusion entre transformation destructrice-créatrice (la Mort) et éveil spirituel (le Jugement). La renaissance suppose une mort préalable, tandis que la naissance spirituelle est un processus d'éveil et de révélation qui peut se produire sans destruction.
Reprenons ce que je disais dans l'article précédent sur la carte du Soleil. Le choix des autres maîtres cartiers a été de mettre deux enfants dans la carte du Soleil (ou un enfant dans le Rider-Waite-Smith), mais pour moi, la carte où l'enfant doit être présent est la carte du Jugement. Pourquoi ?
Les qualités de l'enfant intérieur sont : candeur, innocence, pureté de cœur, ouverture d'esprit, disponibilité. Ce sont pour moi des qualités "angéliques" par nature. Elles représentent la nature de l'ange. Cela renvoie aux chérubins, ces anges représentés comme des enfants dans l'iconographie traditionnelle.
Mais Jean Noblet nous dit sur sa carte (rappel de ce qui est dit plus haut) que désormais les aspects féminin, masculin (Soleil) et maintenant de l'enfant (Jugement) ne font plus qu'un. L'âme, et plus précisément la psyché de l'individu, est unifiée. C'est-à-dire que l'individu a résolu ses paradoxes intérieurs, a accepté ses tensions intérieures. Maintenant, il comprend et assume qu'il y a des aspects contradictoires en lui, que ce n'est pas un mal, au contraire c'est bien, car cela permet la remise en question, la mise en perspective, de se comporter différemment suivant le contexte et la situation. Bref, cela permet de mieux cheminer.
Cette vision du Jugement comme carte de l'unification psychique (plus qu'une carte de libération) me semble particulièrement pertinente pour notre époque. Plutôt que de chercher à éliminer nos contradictions internes ou à les juger négativement ou à s'en libérer, le Jugement nous invite à les intégrer dans une synthèse harmonieuse.
Cette intégration ne se fait pas par la force ou la volonté, mais par l'accueil et l'acceptation. C'est pourquoi cette carte enseigne à ne pas juger : puisque juger implique séparer, diviser, rejeter. L'attitude juste face au Jugement est celle de l'ouverture totale à ce qui se révèle, même si cela bouscule nos certitudes.
Dans cette perspective, l'ange ne vient pas nous juger de l'extérieur, mais révéler ce que nous sommes déjà intérieurement. La trompette ne sonne pas le glas de notre ancienne personnalité, mais l'éveil de notre nature profonde, enfin unifiée et réconciliée avec elle-même.
Cette approche transforme radicalement notre rapport au tarot et à nous-mêmes : plutôt que d'attendre un verdict extérieur, nous apprenons à accueillir avec bienveillance la totalité de notre être, dans toute sa complexité et sa richesse paradoxale.
Interprétation Symbolique | Sens endroit (Positif) | Annonce, appel, propagande, vocation, foi, révélation, vérité, rédemption, transcendance, libération, dépassement, réhabilitation, verdict, prophétie, renommée, notoriété, émergence, éclosion | Sens envers (Négatif) | Choc, mauvaise nouvelle, faute, litige, sentence, complications, rumeur, calomnie, scandale, surexcitation, hystérie |
Interprétation Psychologique | Sens endroit (Positif) | Visionnaire, pédagogue, lucide, bienveillant, inspiré, responsable | Sens envers (Négatif) | Intolérant, extrémiste, imposteur, rancunier, avare, jaloux |
Conseil | |
Guéris de tes fautes. Ne te cache pas. Ne juge pas les autres. Agis avec ferveur, droiture et transparence. Crois dans les autres et transmets leur ta parole | |
Interprétation Thématique | Amour | Nouvelle vision de sa vie sentimentale. Changement radical dans la relation. Médiation dans le couple. Naissance | Travail | Innovation. Compétences reconnues. Arrivée d'un stagiaire. Recherche d'un associé. Insuffisances remarquées | Argent | Placement à terme qu'il est temps de retirer. Recherche de nouveaux investissements. Argent tombant du ciel. Saisie ou confiscation | Famille / Amitiés | Amitiée renouvellée ou adieux. Changement d'habitudes familliales. Nouvel autorité d'un tiers dans la cellule familliale | Santé | Nouveau traitement. Avancée en psychothérapie. Diagnostic inopiné. Grossesse inattendue |
Divination / Prédictif | Qui ? | Un nouvel arrivant. Un apprenant. Une personne incarnant une autorité. Un juge. Un professeur. Un associé | Où ? | Les médias. Via internet. Une université. Un tribunal | Quand ? | Un stage. Une formation. L'obtention d'un diplôme d'enseignant. Une médiation. Un procès | Comment ? | En ne jugeant pas autrui. En comprenant et acceptant l'autre. En s'associant à l'autre. En transmettant sa parole ou son savoir |
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