Signification et interprétation du Fou / Mat

Les maîtres cartiers de la Renaissance française ont choisi de conserver le nom du fou, tout en transformant ce personnage en bouffon, tel qu'on peut le reconnaître dans l'iconographie médiévale. Le fou dans le tarot de Marseille présente deux aspects : en dessous de la taille, il est vêtu de vêtements déchiquetés, harcelé par un chien, toujours perçu comme un paria social. Dans le tarot de Marseille de Jean Noblet (1650), le fou expose même ses organes génitaux, une allusion aux représentations médiévales tardives.

En revanche, de la taille à la tête, le fou est paré de couleurs, avec un collier et une ceinture ornés de clochettes, et porte un chapeau de bouffon stylisé. Son long bâton, auquel est attaché un baluchon, suggère qu'il passe la majeure partie de son temps sur la route. Est-il un mendiant sans abri, incapable de faire face aux responsabilités, ou un bouffon, un artiste de rue, qui parcourt les routes entre différents spectacles et représentations ? Son esprit est-il confus et sa vie désordonnée, ou jouit-il de la liberté de la route, méprisant ceux qui sont piégés dans leur quotidien et leurs conventions ?

A partir de Pierre Madénié, la carte du fou change de nom pour : "LE MAT".

Le terme "Mat" pourrait être dérivé de l'italien matto, signifiant "fou" ou "insensé", ce qui correspond bien à l'esprit de la carte. Le mot "mat" vient aussi de l'arabe māt, qui signifie "mort". Dans le contexte des échecs, "échec et mat" (du persan shāh māt) signifie "le roi est mort". Cette expression a été adoptée dans de nombreuses langues et a influencé la terminologie de divers domaines, et peut-être le tarot aussi. En effet, il est possible qu'il y ait eu une confusion ou une fusion entre le terme italien matto (fou) et l'arabe mat (mort). Cette confusion pourrait être intentionnelle ou accidentelle, mais elle a conduit à l'adoption du terme "Le Mat" dans le tarot de Marseille.

Se référant à signification arabe de mat : "le roi est mort" (échec et mat), les maîtres cartiers français ont peut-être voulu signifier que le Fou, en tant que bouffon du roi, était libéré de ses engagements suite de la mort de son roi. Il pouvait donc partir sur les routes avec juste un baluchon sur l'épaule, comme le montre la carte. Le nom de cette carte évoque davantage un homme libre plutôt qu'un homme fou, ou alors un bouffon du roi qui n'a plus de seigneur.

Dans l'évolution du tarot, le Fou a pris différentes formes et significations selon les régions et les époques. En France, le Fou a évolué en artiste errant, symbolisant souvent une forme de liberté incontrôlée. Cependant, à Bologne, en Italie, on a conservé l'image du simplet innocent. Le Fou du Tarot Mitelli est similaire à cette représentation : il s'agit d'un homme adulte, riant, chevauchant un bâton comme un enfant, entouré d'enfants, rappelant les cartes du Tarot de Charles VI.

Nous voyons sur cette carte un homme âgé, puisqu'il est chauve, se tenant devant un distributeur automatique de billets. Il a dans une main sa carte de crédit, et dans l'autre, il tend une liasse de billets à une main que l'on imagine être celle d'une femme. Cette représentation du Fou est très intéressante, car on a l'impression qu'il donne tout l'argent qui lui reste à une inconnue. On ne sait pas pour quelles raisons il le fait, mais sans doute le fait-il simplement parce qu'il est fou. Ici, la folie pourrait être interprétée comme une incapacité à se rendre compte de la valeur des choses, à ne pas percevoir la nécessité de garder suffisamment d'argent pour vivre et manger. En fait, il donne tout son argent à une inconnue, et son sourire indique qu'il le fait de bon cœur, sans contrainte. Ainsi, cette folie est associée à un détachement complet des possessions matérielles, voire à une forme d'altruisme extrême ou d'ignorance des conséquences.

On pourrait aussi dire que la folie ici est représentée par le fait de dilapider tout son argent, de le dépenser sans compter. On sait à quel point, dans nos sociétés occidentales, l'argent est important : il gouverne le monde, et donc nos vies. Comment peut-on gouverner sa propre vie si l'on n'a pas d'argent, alors que l'argent permet de "s'acheter" une vie ? Mais peut-être, au-delà de la folie de cet homme, existe-t-il une dimension de liberté. Peut-être que l'auteur ou l'autrice a voulu dire qu'abandonner son argent peut aussi être synonyme de liberté, car finalement, lorsque l'on a tout perdu, on n'a plus rien à perdre, et on est libre de dire et de faire ce que l'on veut. En d'autres termes, cette carte pourrait suggérer que la véritable liberté vient de l'absence de possessions, de ne plus être lié par des contraintes matérielles, et d'être ouvert à une nouvelle forme de vie ou de quête personnelle.

La carte du Fou dans le Tarot Vox Arcana présente une iconographie qui rappelle celle des représentations plus traditionnelles du tarot, tout en y ajoutant des éléments uniques. Le Fou y est représenté dans un costume classique, avec un bâton sur l'épaule portant un baluchon. À ses côtés, une créature féline le mord au niveau des fesses, tandis qu'un chien jappe à ses côtés, rappelant l'inspiration du Tarot Rider-Waite-Smith.

Contrairement à d'autres représentations où le Fou semble insouciant, ici, c'est un jeune homme souriant, littéralement en train de courir à grande vitesse, comme s'il faisait un sprint. D'une main, il tient fermement son baluchon, et de l'autre, il porte sa main à son front, donnant l'impression qu'il vient d'avoir une soudaine prise de conscience ou une illumination. Cette attitude peut indiquer un moment de réflexion ou de doute sur son chemin, même si la nature exacte de cette illumination reste mystérieuse.

Un détail particulièrement intéressant de cette carte est la présence de multiples clés qui volent dans les airs. Ces clés semblent sortir du baluchon ouvert, comme si elles étaient projetées hors de celui-ci par les secousses de la course effrénée du Fou. Chacune de ces clés est unique, suggérant qu'elles ouvrent des portes différentes. Cela nous indique que le Fou a en sa possession de multiples solutions, une multitude de possibilités. Cependant, l'homme ne semble pas se préoccuper de la perte de ses clés dans sa course, ce qui peut être perçu comme une forme d'abandon. On peut émettre aussi l'idée que le Fou pourrait symboliser l'acceptation de laisser certaines portes fermées, signifiant une forme de sagesse ou de foi dans le voyage, même sans toutes les réponses.

Cela évoque l'idée que la folie du Fou est liée à son indifférence à la perte de ces objets symbolisant la compréhension et la capacité à déverrouiller certains aspects de sa vie. Il est possible de voir dans cette perte une allégorie de l'abandon de la compréhension intellectuelle au profit d'une illumination spirituelle ou émotionnelle. Ce jeune homme semble suggérer qu'il ne s'agit pas tant de posséder toutes les clés possibles, mais plutôt de trouver la clé unique qui lui est propre, celle qui ouvre la porte de la connaissance de soi.

Le fond de l'image est un ciel bleu parsemé de nuages, renforçant l'idée de liberté. Le jeune homme ne court peut-être pas sur terre, mais dans le ciel, symbolisant une liberté presque divine ou transcendante. Cela peut aussi être interprété comme un signe que le Fou, dans sa quête de liberté, est prêt à sacrifier certaines réponses, ou qu'il trouve du réconfort dans le fait de ne pas toutes les connaître.

Ainsi, le Fou n'est pas seulement un symbole d'insouciance ou d'errance, mais aussi d'une forme de sagesse qui vient de l'acceptation des incertitudes de la vie. Il nous invite à envisager que parfois, la véritable clé est celle que nous portons en nous, une clé qui ne nécessite pas de réponses à toutes les questions, mais une compréhension profonde de soi-même et de notre place dans l'univers.

La carte du Fou dans le tarot Sasuraibito offre une interprétation unique et intrigante du personnage traditionnel. Ici, nous avons un homme très âgé, avec une barbe blanche si longue qu'elle touche presque le sol. Cet homme est complètement nu, et sa barbe semble être son seul vêtement.

Ce Fou apparaît joyeux, exécutant une sorte de danse légère, une expression de son humeur enjouée. Autour de lui, des fleurs rouges flottent dans l'air, brassées par un vent invisible, ajoutant à l'atmosphère légère et insouciante de la scène. L'homme semble s'amuser de cette situation, reflétant une innocence et une spontanéité rarement associées à un homme de son âge.

Comme dans la carte précédente du tarot "Exotic Cancer", ce Fou semble dépouillé de tous ses attributs et possessions matérielles. Il vit donc nu, comme au premier jour de sa vie, ne possédant rien. Cette représentation renforce l'idée d'une liberté totale, d'un retour à l'essence même de l'être.

La nudité du Fou peut être interprétée comme un symbole de l'abandon des responsabilités et des contraintes associées à la vie adulte. Il pourrait s'agir ici de la folie d'un homme qui rejette la raison adulte, renonçant aux attributs de l'âge mûr pour retrouver l'innocence, la joie et la spontanéité de l'enfance.

Cependant, il est important de noter que cet abandon des prérogatives adultes pourrait aussi être vu comme une régression ou une fuite des responsabilités. La nudité peut symboliser une vulnérabilité extrême, exposant l'homme aux éléments et aux jugements extérieurs. Mais, dans cette carte, l'accent semble davantage mis sur la positivité de cette démarche, comme si la folie consistait finalement à renoncer à toutes les normes sociales pour revenir à la source, à l'essentiel de ce que l'on est.

La carte du Fou dans le tarot Trionfi della Luna offre une interprétation particulièrement sombre et complexe. Ici, le personnage n'est pas clairement genré, et il porte un costume qui pourrait rappeler celui d'un aristocrate, bien qu'il puisse aussi évoquer celui d'un bouffon, avec une cape qui renforce cette ambiguïté.

Plutôt que de porter un bâton avec un baluchon, le personnage tient un trident, un symbole puissant souvent associé aux forces destructrices. Ce qui est frappant, c'est que le personnage semble avoir deux visages : un à l'avant, et un autre à l'arrière, dessiné au niveau de ses fesses, qui souffle des flammes. Sur son épaule, un diablotin rouge murmure à son oreille, créant une tension palpable dans l'image. Ce murmure semble inquiéter le personnage, qui grimace et porte la main à son visage, comme s'il était en proie à un dilemme. Ce faisant, il avance vers un feu qui recouvre le sol, comme s'il se dirigeait vers les enfers.

L'élément le plus intrigant de cette carte est ce diablotin, qui pourrait symboliser une voix intérieure. Dans les représentations traditionnelles de la folie, on dit souvent que le fou entend des voix. Ici, cette voix intérieure, bien que diabolique, pourrait être perçue comme une manifestation de la profondeur de l'âme du personnage, une connexion à son essence la plus intime.

Même si l'image dépeint cette écoute comme dangereuse, conduisant le personnage vers le feu, elle peut également représenter une forme de libération. En écoutant cette voix intérieure, le Fou s'autorise à agir selon sa vraie nature, à se déconnecter des conventions et des attentes sociales. Cette écoute peut mener à des actions qui semblent folles ou inconvenantes, mais elle permet aussi de libérer des aspects de soi-même qui seraient autrement restés enfouis.

Cependant, il est important de noter que cette voix intérieure peut être trompeuse et entraîner le personnage dans une spirale autodestructrice. Le feu vers lequel il marche pourrait symboliser la destruction non seulement des normes sociales, mais aussi des ponts avec les autres, ou même une perte totale de contrôle.

Ainsi, la carte du Fou dans le Trionfi della Luna nous rappelle que se connecter à sa voix intérieure peut être à la fois un acte de libération et un chemin périlleux. Ce processus peut révéler des vérités profondes sur soi-même, mais il comporte aussi le risque de tout brûler sur son passage, y compris ce qui est précieux.

Le Fou, contrairement à ce que son nom pourrait suggérer, n'est pas réellement fou. Il est important de comprendre que cette carte ne représente pas un individu irresponsable ou dangereux, bien que certains pourraient le percevoir ainsi. Le Fou est avant tout un être libre, un esprit qui ne respecte aucune convention, aucune norme, aucune loi. Il refuse de se conformer à un rôle préétabli. Le Fou est vu comme celui qui transcende les conventions sociales et les limites imposées par la société. Il incarne une sagesse profonde, souvent incomprise par le monde extérieur.

La carte du Fou et son absence de numérotation

C'est pour cette raison que le Fou n'a pas de numéro. Alors que toutes les autres cartes des arcanes majeurs du Tarot de Marseille représentent des rôles bien définis, le Fou incarne le personnage sans rôle, libre de toute fonction et de toute obligation. Il est libre de faire ce qu'il veut, où il veut, quand il veut, et comme il veut. Dans ce contexte, la "folie" pourrait être interprétée comme l'acte d'accepter pleinement son individualité, d'embrasser une liberté totale.

La liberté du Fou : entre errance et réalisation

Le voyage du Fou à travers les arcanes majeurs symbolise un processus de réalisation personnelle et d'épanouissement. La liberté, ici, est un élément central.

La liberté du Fou pourrait également être vue comme une forme de rébellion contre les structures établies, ce qui en fait un personnage à la fois inspirant et potentiellement subversif. Cette liberté totale peut être perçue comme une quête spirituelle, où le Fou cherche à se détacher des illusions du monde matériel.

Le Fou pourrait représenter deux états différents :

• Le Fou qui n'a pas encore commencé son voyage, celui qui erre sans but, car il n'a pas encore trouvé sa véritable voie. Cet état d'errance est marqué par l'absence de direction claire et de liberté véritable.
• Le Fou qui a terminé son voyage, celui qui a traversé toutes les cartes, de "Le Bateleur" à "Le Monde". Ce Fou est désormais libre, ayant acquis une compréhension profonde de lui-même et du monde. Son chemin n'est plus celui de l'errance, mais bien celui de la liberté.

La finesse entre l'errance et la liberté

La différence entre l'errance et la liberté est subtile. Elle peut être aussi fine qu'un fil et aussi large qu'un fil, suggérant que cette différence tient avant tout à un état d'esprit. Le Fou, en tant que symbole, nous rappelle que la liberté véritable réside dans notre capacité à transcender les limitations mentales et spirituelles. Ce chemin de liberté peut être perçu comme un état d’éveil spirituel, où le Fou a compris la nature illusoire des choses et est capable de naviguer dans le monde avec une sérénité et une indépendance intérieure.