Review Clear The Deck Lenormand de Anouck ZANA

Dès l’ouverture de la boîte en carton renforcé, on découvre un univers riche et soigné. À l’intérieur, 36 cartes traditionnelles côtoient 3 cartes alternatives : la bougie remplaçant le cercueil, la baleine ou le requin en lieu et place de l’ours, et enfin, le journal de bord, ouvert ou fermé, prenant la place du livre.

Mais Anouck ZANA ne s’arrête pas là. Elle enrichit le jeu de 4 cartes additionnelles : la planche (37), le chat (38), le kraken (39) et le canon (40), apportant ainsi une dimension supplémentaire à une approche non prédictive, davantage intuitive et narrative. Un petit livret de mots-clés accompagne l’ensemble, offrant une première approche intuitive des symboles.

Le jeu est complété par un livre de 140 pages, une véritable mine d’informations. La première partie est consacrée à la présentation de l’auteur et de Mademoiselle Lenormand, suivie d’un historique succinct du Petit Lenormand et de la piraterie, thème central de cette édition. La description des 36 cartes et des quatre cartes additionnelles est riche en détails et en symbolisme.

La dernière section du livre est particulièrement précieuse pour les praticiens, qu’ils soient novices ou expérimentés. Elle aborde l’art de poser des questions pertinentes, l’importance de tenir un journal de bord pour suivre son évolution, et les différentes méthodes de tirage. Des explications claires sur la carte significateur, la lecture des cartes individuelles et comment les combiner. Enfin, une FAQ répond aux questions courantes, et des exemples de tirages tels que la coupe, la carte chargée, la boussole (tirage à cinq cartes), votre légende personnelle (tirage à neuf cartes) illustrent concrètement les concepts abordés.

Anouk Zana, alias Clear-The-Deck, est une artiste formée à l’école d’art appliqué Estienne. Sa rencontre avec l’univers de la cartomancie date de l'adolescence ayant découvert le tarot dans un magazine "Femme Actuelle" de sa grand mère. Mais c’est durant le premier confinement en mars 2020 que sa passion pour le tarot introspectif et psychologique prend véritablement son envol. Guidée par les ouvrages d’Emmanuelle Iger, elle trouve une résonance particulière avec cette approche qui allie introspection et symbolisme.

Clear The Deck est officiellement lancé le 31 décembre 2020 sur Instagram. Depuis, Anouck partage régulièrement des publications autour de sa collection de jeux, crée des tirages thématiques. En mars 2022, inspirée par une vague de créativité, elle donne naissance à un nouveau jeu : le Clear The Deck Lenormand.

Dans mon exploration du Petit Lenormand de Anouk Zana, j’ai apprécié le récapitulatif de la vie de Mademoiselle Lenormand, cette figure emblématique de la cartomancie née en 1772. L’histoire du Petit Lenormand est tout aussi fascinante, révélant que ce jeu, contrairement à la croyance populaire, n’a pas été créé par Mademoiselle Lenormand elle-même, mais est plutôt d’origine allemande. C’est Philippe Lenormand qui, en 1848, a capitalisé sur le nom de Marie-Anne Adélaïde Lenormand pour promouvoir le jeu de l’espérance comme un héritage de la cartomancie ancienne, contribuant ainsi à son succès retentissant. Un rappel important de la part de l'autrice.

Le livret aborde également la piraterie, démystifiant certains préjugés et rétablissant des vérités sur ce mouvement révolutionnaire qui a bouleversé les mentalités du XVIIIe siècle en Europe et au-delà. Cette section est un rappel opportun que la cartomancie, comme la piraterie, peut être vue comme une forme de rébellion contre les normes établies, une quête de liberté dans la compréhension de soi et du monde.

La structure du livret est méticuleuse, offrant pour chaque carte deux pages détaillées qui incluent des mots-clés par catégorie – noms, verbes, adjectifs – et la possibilité d’ajouter des mots-clés personnels pour enrichir la polarité de la carte. L’autrice partage ensuite l’histoire de chaque carte, expliquant ses choix iconographiques et remplaçant certains symboles traditionnels par des analogies dans le monde de la piraterie pour garder la cohérence de l'univers. Elle conclut chaque description par une interprétation nuancée qui s’écarte de la tradition pour offrir une perspective plus riche et diversifiée.

Anouk Zana insiste sur le caractère non prédictif de son jeu, le positionnant plutôt comme un outil psychologique. Elle souligne l’importance de se rappeler que le pouvoir est dans les mains du consultant, et non dans les cartes. Cette approche est particulièrement pertinente dans le contexte du Lenormand, souvent perçu comme un outil strictement prédictif. L’utilisation d’un journal de bord est encouragée pour personnaliser l’expérience et progresser dans la pratique de la cartomancie.

Elle partage également des détails sur sa propre pratique, exprimant une préférence pour les cartes sauteuses et diverses méthodes de révélation et d’interprétation des cartes. Elle aborde l’importance du significateur dans le Lenormand et la nécessité d’interpréter les cartes en association plutôt qu’isolément, offrant des conseils pour maîtriser l’art de la combinaison des cartes.

Enfin, le livret présente quatre méthodes de tirage :

• La coupe qui est simplement mélanger les cartes et couper le paquet en deux.
• La carte chargée, un tirage en trois cartes.
• La boussole en cinq cartes (qui est en fait le tirage en croix).
• Votre légende personnelle, un tirage en neuf cartes accompagné de l’utilisation d’un dé à six faces.

Ce tirage, le plus original, est comme un hommage ludique aux marins et pirates d’antan, qui se divertissaient avec des dés et des cartes dans les cales des navires, rappelant que la cartomancie peut aussi être un jeu, une aventure personnelle à la découverte de soi.

Dans le jeu “Petit Lenormand Clear the Deck” d’Anouk Zana, plusieurs cartes m’ont particulièrement marquée par leur finesse et la richesse qu’elles apportent au standard classique du Petit Lenormand. J’ai été touchée par l’effort de l’autrice à tisser des liens entre les cartes, où certains détails se retrouvent d’une carte à l’autre, créant ainsi une cohérence et facilitant l’association pour interpréter les combinaisons. Par exemple, les hamacs de la carte 20 - Rhum (Jardin) se retrouvent dans la carte 24 - Matelotage (Cœur), OU les pièces de la carte 9 - Trésor (Bouquet) apparaissent également dans la carte 29 - Loup de mer (Homme), OU les Souris qui ont leur carte bien sûr, mais que l'on retrouve aussi sur la carte bonus du Chat. Ces connexions subtiles sont rares dans les jeux Petit Lenormand et ajoutent une dimension supplémentaire à la lecture.

La carte Hippocampe, associée au Cavalier, est un choix intrigant. L’hippocampe, étant un poisson lent, confère à cette carte une dimension paradoxale, suggérant l’attente et la patience plutôt que la rapidité habituellement associée au cavalier.

La carte du Trésor m’interpelle également ; elle symbolise quelque chose d’aussi éphémère que le Bouquet, non pas parce qu’il se fane, mais parce que la fortune peut être rapidement dilapidée.

La carte du Moussaillon me touche profondément. Elle rappelle que les enfants à bord des navires à voile n’avaient pas une enfance insouciante, mais étaient plutôt plongés dans un monde d’adultes en conflit, s’acquittant de tâches ingrates telles que le nettoyage du pont. Cette carte offre une perspective poignante sur la vie des enfants dans un contexte historique difficile.

La carte du Matelotage, remplaçant le Cœur, évoque les contrats signés entre marins, mais aussi les relations sentimentales, parfois cachées, au sein de cet univers. Elle souligne la possibilité de relations homosexuelles dans un monde aux normes sociétales strictes, rendant le jeu inclusif et moderne.

La carte 30, Corsaire, représentée par la Lettre de Marque, ajoute au concept de pureté et de lisse une notion de légitimité, de respect et de reconnaissance que les corsaires obtenaient des États sanctionnant leurs activités selon les lois de la guerre.

Enfin, la carte 31 du Soleil, avec l’horizon montrant le reflet d’une île montagneuse entourée de brumes, parle non seulement de réjouissance et d’épanouissement, mais aussi d’objectifs qui pourraient être des illusions ou le rêve d’une vie idyllique.

La carte 37, la Planche, nous confronte à l’inconnu et évoque la punition ou les sanctions, nous rappelant que nos actions ont des conséquences et que nous devons assumer nos responsabilités.

La carte 38, le Chat, offre un contrepoint intéressant à la carte des Souris et pourrait être vue comme complémentaire à la carte du Chien, ici représentée par le Dauphin, symbolisant la liberté, l’entrepreneuriat et l’autonomie.

La carte 39, le Kraken, introduit une dimension d’ombre, d’introspection et de traumatisme, offrant une perspective plus sombre que celle véhiculée par la carte 11 du Fouet.

Et la carte du Canon, qui, selon l’autrice, parle plus d’action que de conflit, contrairement à ce que pourrait suggérer la carte du Fouet.

Je dois avouer qu’il n'y a aucune carte que je n’apprécie pas dans ce jeu (signe de la qualité du travail de l'autrice, car je suis plutôt du genre pointilleux). En réalité, ce ne sont pas les cartes en elles-mêmes qui me posent problème, mais parfois certaines interprétations et symboliques me semblent communes ou redondantes entre elles.

Aussi ce qui suit n'est pas tant une critique du jeu, mais davantage une discussion, autour de la grille d'interprétation de ces cartes, ayant deux objectifs :

• Faire comprendre au lecteur que ré-inventer le système Lenormand est un sacré challenge !
• Inciter le lecteur à se faire sa propre grille d'interprétation ! Et s'approprier le jeu.

Prenons par exemple la carte 22, Boussole, qui remplace le Croisement, la carte 17, Gouvernail, qui prend la place de la Cigogne, et la carte 16, l’Étoile, qui reste fidèle à elle-même. Ces trois cartes semblent finalement véhiculer une idée similaire : celle de tracer, suivre un chemin et garder un cap. Or, dans le système Lenormand classique, ces cartes parlent de concepts distincts : l’espoir pour l’Étoile, la nouveauté et la migration pour la Cigogne, et le dilemme ou le choix pour le Croisement.

De même, les cartes 10, Crochet, et 35, Ancre, pourraient évoquer une notion d’attachement ou de persistance. Cependant, la carte du Crochet se distingue peut-être trop de la tradionnelle Faux et n’intègre pas cette idée de rupture ou de nécessité de trancher. Certes le Captaine Crochet (Hook) peut être perçu comme un adversaire dangeureux ( mais là encore, je l'aurais davantage associé à la carte 11 - Verge, parce que finalement les enfants s'en sortent toujours contre lui). Il y avait peut-être la possibilité d’ajouter ou d’utiliser davantage le sabre du pirate, ce qui aurait pu être intéressant à associer à l’idée du Crochet, évoquant la perte ou la main coupée.